LE GÉRIATRE : UN MÉTIER MÉCONNU DU PUBLIC
Pour accompagner au mieux les personnes âgées, il est important de bien comprendre le rôle de tous les intervenants susceptibles de les accompagner. C’est dans cet esprit que nous avons rencontré le professeur Yves Binan, professeur titulaire de médecine interne et gériatre au CHU d’Angré. Il nous éclaire sur le rôle du gériatre et la manière dont il peut aider les personnes âgées et leurs familles à prendre les meilleures décisions pour leur santé.
Cela peut sonner mathématique, physique ou autre science, car il est difficile d’en faire un lien avec la médecine. Et pourtant, le gériatre est le médecin le plus avisé à prendre en charge les “bobos” des séniors.
Le gériatre, le spécialiste qui assure la sante des personnes âgées
La gériatrie est une spécialité médicale dédiée à l’étude et au traitement des maladies liées au vieillissement. Elle est différente de la gérontologie qui s’intéresse à l’étude du vieillissement humain au sens large, et notamment aux phénomènes biologique, psychologique, sociologique, démographique ou encore de santé publique liés au vieillissement.
Les objectifs de cette spécialité médicale, dans laquelle la prise en charge du patient est globale, sont de maintenir ou au besoin de restaurer l’autonomie fonctionnelle des personnes âgées. Le gériatre travaille en étroite collaboration avec ses confrères et autres professionnels de santé.
Quand et où consulter le gériatre ?
Les pathologies qui frappent les personnes âgées sont dans leurs majorités identiques à celles qui touchent les plus jeunes, mais elles surviennent pour la plupart plus souvent. Cette augmentation de fréquence des affections est reliée à la diminution graduelle du système immunitaire. Le gériatre traite de multiples affections telles que les déficits sensoriels, comme la surdité ou la malvoyance, les chutes et les traumatismes, qui peuvent avoir des conséquences plus importantes qu’à un âge moins avancé à l’exemple de la fracture du col du fémur, les maladies neurologiques, comme la démence, les pathologies cardio-vasculaires et respiratoires, la déminéralisation osseuse et les usures articulaires, les troubles nutritionnels, les troubles du sommeil…
Les gériatres exercent le plus souvent dans des centres hospitaliers ou des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, appelés aussi maisons de retraites spécialisées. Pour parvenir à un diagnostic et traiter son patient, le gériatre peut être amené à réaliser une multitude d’examens tels qu’une évaluation de base de l’audition, un électrocardiogramme ou encore la mesure de la tension artérielle.
Le gériatre fait appel au spécialiste adapté en cas de nécessité d’examens ou d’expertises plus poussés. Par exemple, le gériatre peut faire appel à un Oto-rhino-laryngologue (ORL) pour une évaluation plus précise de l’audition, ou à un cardiologue pour faire une échographie cardiaque.
En Côte d’Ivoire, c’est le CHU d’Angré qui a un service dédié de médecine interne et de gériatrie.
Guy Martial Kouassi
MARINA APPENZELLER-PANAZZA (INFIRMIÈRE-CHEFFE) : « L’ESPÉRANCE DE VIE EN SUISSE EST L’UNE DES PLUS HAUTES DANS LE MONDE »
Métier peu connu en Afrique, la gériatrie, une branche de la médecine qui s’occupe de la santé à l’âge avancé, est un sujet d’actualité et d’avenir. Marina Appenzeller-Panazza, Italo-Suisse de 48 ans, infirmière- cheffe diplômée en soins généraux depuis 27 ans et responsable des soins dans un établissement médico-social en Suisse, nous aide à travers cet entretien téléphonique à comprendre ce métier dédié aux personnes âgées en Suisse.
Quel est l’état des lieux de la gériatrie en Suisse, avec des statistiques de la prise en charge des personnes âgées ?
Plus que des chiffres et des statistiques, c’est l’évolution de la population en Suisse et ses incidences qu’il s’agit d’expliquer. En Suisse, l’augmentation de la démographie est significative. Avec, entre autres, les progrès de la médecine, l’espérance de vie augmente. Actuellement, elle est l’une des plus hautes dans le monde avec 85,1 ans pour les femmes et 81 ans pour les hommes. De ce fait, la population âgée croit. Sa vulnérabilité et son évolution vers la dépendance impliquent des conséquences pour la société : l’obligation de développer des structures adaptées à ces différentes situations.
Comment se fait la prise en charge de ces sujets âgés ?
L’accompagnement de la personne âgée en Suisse dépend de son état fonctionnel et de l’évolution de son degré d’autonomie. L’objectif premier est de respecter le projet de soins de la personne et de la maintenir le plus longtemps possible à domicile. Les modèles d’accompagnement sont nombreux et permettent de s’adapter à l’accompagnement spécifique du sénior en perte d’autonomie. Pour chaque modèle, vous avez des infrastructures et des ressources humaines avec des compétences dans le domaine.
Pour une personne âgée qui est en bonne santé avec une pathologie chronique, diabète par exemple, vous trouvez une filière de soins spécifique avec le médecin traitant, le médecin spécialiste (ndlr : diabétologue, gériatre, psychogériatre, neurologue…), une équipe interdisciplinaire (ndlr : kinésithérapeute, ergothérapeute, diététicien, logopédiste…).
Pour les personnes qui deviennent plus vulnérables avec plusieurs pathologies chroniques et un risque de dépendance accrue, vous trouvez en plus des structures de soins à domicile, des mesures réadaptatives en hôpital, des soins coordonnés avec différents spécialistes.
Pour les personnes qui deviennent dépendantes et dont l’accompagnement est devenu complexe pour un bon maintien à domicile, vous trouvez des structures d’accueil comme les établissements médico-sociaux avec toujours une approche interdisciplinaire et multidisciplinaire.
Une personne peut donc avoir plusieurs trajectoires de soins.
Quelle lecture faite vous de la gériatrie en Côte d’Ivoire ?
Lors de mes visites en Côte d’Ivoire, par le biais de mon association Suisse « Perle de Cœur », j’ai été invitée par Dr Blaise Koffi N’Guessan et son ONG
« Aladjé» à un partage d’expériences dans le domaine de la gériatrie et de la psychogériatrie. Cela, avec la collaboration du Professeur Yves Binan et de son équipe. D’apprendre que la gériatrie est un domaine qui débute et qui est trop peu connu en Côte d’Ivoire a été dans un premier temps pour moi quelque chose d’un peu irréel. Ensuite, pour une passionnée du domaine comme moi, le fait de savoir que tout est à construire, à mettre en place, à transmettre, m’enthousiasme. Ces moments de partage durant les séminaires ont été une expérience enrichissante pour tout le monde. Même si elle est petite, vous avez la chance d’avoir déjà une équipe de médecins gériatres et de soignants passionnés et motivés qui souhaitent développer ce domaine. Saisissez cette opportunité !
Quelles sont les pathologies traitées dans la prise en charge des sujets âgés dans notre pays ?
Le vieillissement se déroule selon un processus physiologique général mais, qu’il soit noir ou blanc, riche ou pauvre, chaque aîné vieillit à un rythme différent. Ces différences peuvent être très importantes entre les individus et sont influencées par des facteurs biologiques comme les Théories de l’usure, génétique, immunologique et des facteurs psycho-sociaux comme les Théories du désengagement, de l’activité. Chacun d’entre nous subit les outrages du temps à son rythme et à sa manière. Il n’existe pas de cure de jouvence ou de pilule miracle mais nous pouvons agir afin de rester en forme le plus longtemps possible. Il n’y a, en effet, pas de situations où ça ne vaut plus la peine de faire de la prévention. Les aînés tirent des bénéfices de la prévention. Lorsque l’on parle de pathologies en lien avec la personne âgée, nous parlons de Syndromes gériatriques. Il s’agit d’un problème de santé dont les symptômes ne résultent pas seulement de maladies bien définies mais de l’accumulation d’incapacités dans plusieurs systèmes et qui se développe quand les possibilités de compensation sont dépassées. Parmi ces syndromes, vous trouvez les troubles de la marche et de l’équilibre, les chutes, les troubles cognitifs, la dépression, l’incontinence urinaire, la malnutrition, la polypharmacie, la désafférentation sensorielle.
Comment êtes-vous arrivé au métier d’infirmière spécialisée en gériatrie et psychogériatrie ?
Lors de ma formation de base, je devais passer mes examens de diplôme en 1995. Il manquait alors des places de stage pour mon niveau dans les services traditionnels de médecine et de chirurgie. Un service de gériatrie venait de s’ouvrir à l’hôpital et le médecin gériatre a proposé à l’enseignante qui m’encadrait d’ouvrir ce service à une stagiaire finaliste. J’ai accepté et j’ai été ainsi la première étudiante en soins infirmiers à faire un stage final dans un service de gériatrie dans le canton. Grâce à un gériatre passionné, Dr Jerôme Morisod, j’ai découvert une branche de la médecine complexe et passionnante. J’ai vite été contaminée ! Dr Morisod, accompagné par une équipe de soignants également passionnés, ont poussé mon niveau d’enseignement et mon encadrement à un niveau tel que j’ai passé mes examens théoriques oraux et pratiques avec les notes maximales !
Durant mon parcours professionnel, je me suis donc naturellement spécialisée dans ce domaine par un Certificate of Advanced Studies (CAS) en gériatrie et un CAS en psychogériatrie. J’ai également poursuivi des formations post grades en management et en qualité des soins et conseils. Tout au long de mon parcours professionnel, je n’ai jamais quitté le domaine de la gériatrie-psychogériatrie qui me passionne toujours autant, qui a beaucoup évolué et évolue encore. Ne jamais me reposer sur mes acquis, acquérir et transmettre sans cesse les nouvelles connaissances dans ce domaine sont ce qui m’anime encore aujourd’hui.
Votre regard sur ce métier en Côte d’Ivoire ?
C’est une vraie opportunité que vous avez car tout est à construire dans le domaine en Côte d’Ivoire ! La créativité et l’innovation ont donc une place privilégiée. Il vous faut avoir une bonne politique de vieillissement et santé qui s’adapte aux besoins des séniors et ainsi créer de nouveaux modèles. Il faut prendre en compte la prévention pour vieillir en bonne santé ; le développement des compétences par la formation de base et continue ; les notions de syndromes gériatrique et d’évaluation gériatrique globale sont essentielles ainsi que la valorisation de ces compétences. Il y a également le développement sur le terrain de l’interdisciplinarité sans catégorie de soins qui se veut supérieure à une autre et le développement de la multidisciplinarité en ouvrant la porte aux autres structures qui s’occupent de la personne âgée qui sont à développer.
Propos recueillis par G M K
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ENCADRE
LES PERSONNES ÂGÉES ONT UN ACCÈS DIFFICILE AUX SOINS DE SANTÉ EN CÔTE D’IVOIRE
Selon le recensement de 2021 de la Banque Mondiale, il y a 787 557 personnes âgées de plus de 65 ans en Côte d’Ivoire. Malheureusement, les conditions de vie des seniors ivoiriens laissent encore fortement à désirer.
La constitution ivoirienne en son article 32 stipule que « l’Etat s’engage à garantir les besoins spécifiques des personnes vulnérables. Il prend les mesures nécessaires pour prévenir la vulnérabilité des enfants, des femmes, des mères, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Il s’engage à garantir l’accès des personnes vulnérables aux services de santé, à l’éducation, à l’emploi et à la culture, aux sports et aux loisirs ».
Si du côté des enfants, des femmes et des personnes en situation de handicap, on assiste à des actions en leur faveur, le cas des personnes âgées reste encore à voir. Surtout en matière de politique de santé pour les personnes du 3ème âge.
« Il n’y a pas de politique sociale de la part du gouvernement pour les personnes du 3ème âge. Nous constituons un peu comme la quantité négligeable », regrette le député Kouassi Koffi Mathurin, ex-président de la Fédération des Associations des Fonctionnaires et Agents de l’Etat à la Retraite (FARE-CI). Ce constat de l’ex-président de la FARE-CI est en réalité une évidence dans la société ivoirienne. Les enfants ont pour eux les pédiatres qu’on trouve dans toutes les structures sanitaires du pays. Pour les femmes, particulièrement les femmes enceintes, il y a les gynécologues qu’on trouve aussi partout. Pour les personnes âgées, on parle des médecins gériatres. Combien en trouve-t-on en Côte d’Ivoire ? « On nous a dit qu’en Côte d’Ivoire, il y a cinq ou six médecins gériatres. Mais où se trouvent-ils ? Récemment, on nous a dit que ces médecins se trouveraient à l’hôpital d’Angré. Autant il n’y a pas de médecins gériatres, autant la médecine gériatrique n’existe pas en Côte d’Ivoire », révèle l’ancien président de la FERA-CI.
L’accès aux soins pour les personnes du 3ème âge en Côte d’Ivoire reste un véritable casse-tête pour les séniors. En effet, lors de la conférence internationale sur les personnes du 3ème âge tenue à Madrid en Espagne du 8 au 12 avril 2002, la Côte d’Ivoire avait émis l’idée de la création de deux centres pour une meilleure prise en charge des personnes âgées. Des années plus tard, ces projets qui devaient contribuer au bien-être psycho-médical de nos séniors ont malheureusement été mis aux oubliettes.
Il faut noter que Dr Hugues Kouadio, directeur général de l’ENSEA a été élu le vendredi 22 juillet 2022, à la tête de la Société nationale ivoirienne de gériatrie et de gérontologie (SNIGG). Le statut des personnes âgées en Côte d’Ivoire est l’un de ses chantiers de ces deux ans de mandat.
« L’adoption d’un statut pour les personnes âgées en Côte d’Ivoire et la construction d’un Institut de gériatrie et de gérontologie qui prendra en charge l’action de toutes les personnes âgées. Si au terme de ce mandat, nous arrivons à faire adopter ce statut par les autorités compétentes du pays, alors nous aurons donc avancé d’un grand pas », espère le président de la SNIGG. Il ajoute également que la mise en place d’un statut social et juridique des personnes âgées est une priorité.
G M K
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Prise en charge des personnes âgées / PROFESSEUR YVES BINAN (GÉRIATRE, PROFESSEUR TITULAIRE DE MÉDECINE INTERNE AU CHU D’ANGRÉ) :
« IL FAUT BEAUCOUP DE GÉRIATRES POUR LA PRISE EN CHARGE EFFICIENTE DES PATIENTS DU 3ÈME ÂGE »
Pour accompagner au mieux les personnes âgées, il est important de bien comprendre le rôle de tous les intervenants susceptibles de les accompagner. C’est dans cet esprit que nous avons rencontré le professeur Yves Binan, professeur titulaire de médecine interne et gériatre au CHU d’Angré. Il nous éclaire sur le rôle du gériatre et la manière dont il peut aider les personnes âgées et leurs familles à prendre les meilleures décisions pour leur santé.
Qu’est-ce que la gériatrie ?
La gériatrie est la partie de la médecine qui s’occupe des soins et de la prévention des pathologies du sujet âgé. La gériatrie rentre dans le grand concept de gérontologie qui traite toutes les sciences qui tournent autour du sujet âgé. Donc, l’économie du sujet âgé, la démographie du sujet âgé, la psychologie du sujet âgé, le social et l’ethnosociologie du sujet âgé… Tout cela concerne la gérontologie. Maintenant, la médecine qui traite des soins aigus et des soins préventifs est représentée par la gériatrie.
Comment se passe une consultation et la prise en charge en gériatrie ?
On va prendre le cas où le patient est autonome. Il a toutes ces facultés mentales. Il exprime une plainte et il vient en consultation. Donc, il n’a pas besoin d’être accompagné. La consultation se déroule ainsi entre lui et le spécialiste comme les autres consultations. Il y a des cas ou la plainte est formulée par l’entourage. On a l’habitude de dire l’aidant naturel, la compagne, l’épouse, l’époux ou les enfants. Ici, la consultation se fait à 3, c’est-à-dire entre le médecin–gériatre, le sénior et celui qui a motivé la plainte. Il existe une troisième situation ou le sénior peut être vu dans des cas d’urgence. Soit, il a un syndrome confusionnel et il est accompagné par sa famille aux urgences. Même si le gériatre n’est pas de garde, comme nous travaillons dans un service de médecine interne et de gériatrie, l’interne des urgences fera appel à un gériatre pour conforter, améliorer la prise en charge de ce sénior.
A partir de quel âge une personne âgée devrait-elle consulter un gériatre ?
Selon l’organisation mondiale de la santé, est dit sénior tout sujet qui a au moins 65 ans. Maintenant, chaque société définit l’âge à partir duquel nous sommes sénior. Je prends le cas de la fonction publique, les professions tertiaires telles que la magistrature, la diplomatie… l’âge de la retraite est de 65 ans. Au privé, je crois que c’est 60 ans. Dans d’autres professions, c’est 55 ans. La question est très pertinente mais, il y a une autre donnée très importante. Nous faisons actuellement une étude sur les séniors atteint de VIH à Treichville. Dans cette étude, nous descendons la barre jusqu’à 50 ans. Les patients qui vivent avec le VIH, on considère qu’ils sont séniors à partir de 50 ans. Je voudrais dire dès l’entrée dans la retraite, quand nous sommes admis à faire valoir nos droits à la retraite, on peut déjà consulter un gériatre.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous spécialiser en gériatrie ?
Vous me donnez l’occasion de rendre hommage à mes maitres notamment le professeur NIAMKEY Ezany, le professeur TOUTOU Toussaint, le professeur DIOMANDÉ Isidore qui étaient à l’époque doyen de la faculté de médecine. Il y avait un besoin de formation et appartenant au département de médecine interne, le professeur Niamkey Ezany a été approché et j’ai été choisi. Il m’avait donné 24 heures pour réfléchir à cette offre entre 2008. Et le fait que j’ai longtemps vécu avec ma grand-mère a influencé ma décision. Ajouté à cela, ça ne me gênait pas de découvrir des séniors car, c’est toujours de la médecine. Et puis, vous savez qu’on apprend beaucoup des séniors. Il y avait déjà un gériatre ivoirien mais qui n’était pas universitaire, le Docteur Gaumont.
Quel est le cursus d’un gériatre et leur nombre en Côte d’Ivoire ?
Je rappelle qu’en pré-doctoral, avant la soutenance de la thèse d’exercice, nous n’avons pas eu de formation de gériatrie. Je suis revenu en Septembre 2011, et depuis 2012, les étudiants en pré-doctoral de l’UFR des sciences médicales ont des cours de gériatrie. En Master deuxième année, l’étudiant de l’UFR des sciences médicales d’Abidjan recevra des cours de gériatrie. Cela se fait dans un module qu’on appelle GPH : Gériatrie-Soins Palliatifs et Handicap, c’est une trentaine d’heures de cours. En postdoctoral, l’étudiant a la possibilité de s’inscrire au diplôme d’étude spécialisée de gériatrie à l’Université Félix Houphouët-Boigny pour le compte de l’UFR des sciences médicales d’Abidjan. L’année dernière, il y a eu la sortie des 6 premiers gériatres de cette formation qui a eu lieu essentiellement à Abidjan. Nous avons actuellement environ une dizaine de gériatres en Côte D’Ivoire.
Quels sont les dangers de l’isolement de nos aînés ?
Quand nous prenons par exemple la COVID qui a secoué les fondements de la société et qui a entrainé l’isolement, c’est difficile pour un sénior de vivre seul. Même s’il n’est pas dépendant, même s’il peut vaquer à ses occupations, même s’il peut se faire à manger, c’est difficile qu’il soit seul parce que c’est bon de continuer de développer ces reflexes quand on est entouré. Et c’est une forme de maltraitance. C’est capital et c’est important que les aînés soient visités par les plus jeunes, ils ont beaucoup à donner pour leur expérience et ce lien-là, il ne faut pas le casser. Pour moi, le sénior doit vivre au sein de la cellule familiale. Quand vous prenez les séniors actuellement, les gens qui ont 65-70 ans, combien d’enfants, de jeunes n’ont-ils pas éduqués, et les voir seuls, isolés, c’est difficile à vivre. Et ce lien permet une transmission de témoin.
Quelles pathologies rencontrez-vous le plus fréquemment dans l’exercice de votre fonction ?
Il y a les pathologies infectieuses notamment la COVID qui a durement secoué les sujets âgés, le paludisme, les facteurs de risques cardiovasculaires [le diabète, l’hypertension artérielle], les pathologies métaboliques les troubles neurocognitifs tels que la démence, il y a la dénutrition, la dépression, le cancer de la prostate… Dans notre service, nous avons un spécialiste d’oncogériatrie pour affiner le diagnostic des patients âgés qui souffrent de cancer.
On parle beaucoup de chute chez le sujet âgé, de quoi s’agit-il ?
Les chutes sont multifactorielles. Il y a les facteurs intrinsèques et les facteurs extrinsèques. Un sénior peut chuter simplement parce qu’il fait une pneumopathie et c’est la face visible de l’iceberg. Un sujet peut faire une chute parce qu’il a pris des médicaments. Donc, on a l’habitude de dire chute mécanique, cela veut dire qu’il s’est entremêlé les pieds dans un tapis qui n’est pas bien installé. Les autres chutes qui ne sont pas chimiques a contrario de la chute mécanique mais qui ont une cause cardiaque, neurologique. Par exemple, un sujet fait un accident vasculaire cérébral et brutalement, c’est la chute. Un sujet qui manque de sucre, fait une hypoglycémie, qui pourrait se traduire par une chute. Un sujet qui prend plusieurs médicaments dont les effets indésirables qui s’entremêlent peut entrainer une chute. Donc, il y a les causes qui sont intrinsèques et extrinsèques. Il y a aussi le mal éclairage d’une pièce, le sujet se lève le matin ou au cours de la nuit pour aller uriner, il peut faire une chute. Il y a également une cause très importante qui est l’hypotension orthostatique c’est-à-dire quand le sujet se lève, la tension artérielle baisse tellement, les mécanismes compensateurs ne sont pas réglés et il perd l’équilibre, il tombe. Même quelqu’un qui a l’arthrose peut faire une chute. Donc, devant une chute, il faut rechercher les causes.
Comment améliorer les conditions de vie des personnes âgées ?
C’est une bonne alimentation. Il faut voir un gériatre qui va faire le tri des médicaments et être entouré par sa famille. Il faut également faire du sport.
En Côte d’Ivoire, existe-t-il des infrastructures qui s’occupent particulièrement de ces personnes ?
Au Sénégal, dans les années 2012, le président Wade a fait un plan pour les séniors. Les consultations étaient gratuites dans les hôpitaux publics et ils payaient un ticket modérateur qui valait le tiers du montant de la facture. Chez nous, ce qu’on pourrait faire pour les fonctionnaires et agents de l’Etat, c’est peut-être instaurer une retraite complémentaire qui viendrait se rajouter à la retraite conventionnelle pour qu’on puisse prendre en charge ces séniors. Et puis, vous savez que des fois on tombe sur des patients qui a la retraite ne sont pas propriétaires d’un appartement, c’est difficile. Ce plaidoyer s’adresse au ministère des affaires sociales relativement à un plan pour que les séniors bénéficient des consultations gratuites, et si possible un rabais sur le prix des médicaments dans les officines publiques.
Existe-t-il des services de gériatrie dans nos grands hôpitaux ?
Officiellement, il y en a deux. Nous avons le service de médecine interne du CHU de Treichville ou il y a des gériatres et il y a le service de médecine interne du CHU d’Angré. A Angré, nous approfondissons plus car, nous avons des plages entières de consultations dédiées au sujet âgé.
Que préconisez-vous pour vulgariser ce métier ?
Le métier est en train d’être vulgarisé. Si je me réfère au nombre d’étudiants en spécialité qui est croissant. Maintenant, il faut aller plus loin en se rapprochant de l’institut de formation des agents de la santé pour avoir des cours de gériatrie ou développer une formation d’infirmier spécialiste en gériatrie, c’est à discuter avec les autorités académiques de cette institution. Ce qui est difficile, la consultation de gériatrie pour un nouveau patient est d’au moins une heure donc, il faut beaucoup de gériatres pour pouvoir examiner le maximum de personnes âgées. Quand un sénior arrive à 8 heures, il doit être pris dans les 30 minutes qui suivent. Ici, au CHU d’Angré, nous essayons de faire nos consultations sur rendez-vous, on essaie de tenir dans le temps par horaire.
Quels sont vos souhaits
Un appel pressant aux autorités de ce pays. Nous faisons notre part, nous avons besoin d’appui, on a des partenaires comme la CGRAE, il y a des journées qui ont été instituées, il y a aussi des ONG. Mais, le plaidoyer se situe au niveau du gouvernement, du ministère des affaires sociales de nous venir en aide pour porter ce projet-là parce que je pense qu’on vieillit dès qu’on cesse de rêver.
Entretien réalisé par G M K
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Dr N’GUESSAN Blaise (Pdt Ong ALADJÉ) :
« L’objectif est d’augmenter le nombre de gériatres pour la qualité de l’accompagnement des personnes âgées »
« Cette rencontre de partage d’expériences entre les spécialistes ivoiriens et suisses en gériatrie a été un succès aux vues des avis recueillis mais le défi est d’entretenir cette dynamique en vue d’augmenter le nombre de gériatres en Côte d’Ivoire pour la qualité de l’accompagnement des personnes âgées », a indiqué lors d’un séminaire de partage d’expériences sur la gériatrie et la psychogériatrie entre gériatre Suisses et Ivoirien, Dr N’Guessan Blaise, médecin spécialisé en santé publique et président de l’Ong ALADJÉ.
“Bientraitance et prévention de la maltraitance” a été le thème de la rencontre qui a réuni le jeudi 18 novembre 2021, à l’amphithéâtre du CHU d’Angré, plusieurs spécialistes qui interviennent dans l’accompagnement des personnes âgées.
« Les participants ont reconnu unanimement que cette rencontre était une opportunité pour les acteurs impliqués dans l’accompagnement des personnes âgées d’avoir des connaissances complémentaires sur la gériatrie et la psychogériatrie pratiquées en Côte d’Ivoire et en Suisse. Une des recommandations formulées par les participants et particulièrement par le représentant du Service des Ong du Ministère de la Santé, de l’Hygiène Publique et de la Couverture Maladie Universelle est de renouveler une telle initiative pour contribuer fortement à l’amélioration de la prise en charge de la population ivoirienne », a fait savoir Dr N’Guessan Blaise. Poursuivant, il a exhorté les différents acteurs de ce secteur à poursuivre la collaboration avec les partenaires Suisses de l’association Cœur de perle dans la promotion de cette discipline émergente en Côte d’Ivoire. « Notre objectif est d’accroître la sociabilisation de la personne âgée, afin d’éviter son isolement », a-t-il ajouté.
Créée depuis le 27 novembre 2011, l’Ong ALADJÉ, qui signifie bien-être, lutte pour la promotion de la santé et du bien-être des communautés défavorisées en milieu rural et urbain.
G M K